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vendredi, janvier 27, 2006

Le choc entre les lois de droits des femmes et la coutume africaine

Par SHARON LaFRANIERE
Publié le 30 décembre, 2005


LAMONTVILLE, Afrique du Sud ­ Théoriquement, ce qui est arrivée à la jeune Sibongile, âgée de 14 ans dans son township peuplé et vallonné près de Durban en novembre ne pourrait pas arriver aujourd¹hui ­ du moins pas légalement.

Lors d¹un samedi matin torride, pendant qu¹une douzaine de femmes observaient, Sibongile rejoignit 56 autres filles zoulous devant une tente lignée rouge et blanc. Une à une, elles se couchaient sur un tapis de paille sous la tente ; une à une, elles subissaient un examen hâtif de leur sexe par une femme coiffée d¹un chapeau de cérémonie perlé. Après que l¹inspectrice ait prononcé son jugement sur l¹état de l¹hymen de chaque fille ­ « vierge, » « beau ,» « parfait, » - chacune s¹en allait sous les trilles excitées des femmes qui observaient.


Jusqu¹à ce que Sibongile lève sa jupe plissée pour se soumettre à l¹examen. Un silence presque total la suivit hors de la tente.

« Seule une d¹elles l¹acclama, » a-t-elle raconté, avec une expression de détresse suite à la détermination qu¹elle n¹était pas vierge. « Je me sens très mal parce que je n¹ai rien fait. » Pour beaucoup de Zoulous, ces tests de virginité constituent une coutume vénérée, une coutume qui décourage le sexe prématuré et qui, après être tombée en désuétude, a connu un renouveau pour lutter contre l¹extension du HIV. Mais pour beaucoup de militantes des droits des femmes et des enfants, la pratique est non-scientifique, discriminatoire ­ pour les filles qui sont accusées publiquement, peut-être faussement, d¹avoir perdu leur virginité ­ flétrissant émotionnellement. Ce mois-ci, leurs arguments ont persuadé le Parlement sud africain d¹interdire certains tests de virginité, punissables jusqu¹à 10 ans d¹emprisonnements en cas de violation.

L¹interdiction est un exemple, en Afrique subsaharienne, de l¹introduction lente mais inexorable dans la loi, de protections élémentaires qui ont longtemps été refusées aux femmes. Mais il témoigne aussi de la fragilité du mouvement envers les droits des femmes dans la région. La nouvelle loi est non seulement une version édulcorée de ce qui était proposé, mais peu de gens croient qu¹elle puisse contenir une tradition ancrée si profondément dans la culture zoulou et dans une mesure moindre dans la culture xhosa.

« Nous maintiendrons nos traditions et nos coutumes, » a dit Patekile Holomisa, le président du Congrès des chefs traditionnels, un parti politique en Afrique du Sud. « On passe des lois qui n¹ont pas nécessairement un impact sur la vie des gens. Je suppose que celle-ci est l¹une d¹elles. »

L¹histoire est la même dans une grande partie cette région : mesurés en lois et en statut politique, les femmes ont obtenus des gains solides, même extraordinaires vers l¹égalité. Les commissions pour l¹équité envers les femmes sont très répandues dans les 48 pays subsahariens. Des femmes sont maintenant associées aux chefs d¹état dans au moins sept pays et une femme est présidente dans l¹un d¹eux, le Liberia. Elles détiennent un siège parlementaire sur six, ce qui correspond à la moyenne mondiale.

Une législation de droits des femmes a aussi été promulguée. La nouvelle constitution du Swaziland adoptée cette année, fait des femmes les égales légales des hommes, pouvant avoir leur propre propriété, signer des contrats et obtenir des emprunts sans le parrainage d¹un homme. Le Zimbabwe a autorisé cette année les femmes à hériter de leur mari et de leur père. Le Libéria a passé une loi sévère contre le viol, et la présidente élue Ellen Johnson-Sirleaf, la première femme à être élue à la tête d¹un état dans l¹Afrique moderne s¹est engagée à la mettre en application.


Le mois dernier un protocole détaillé de droits des femmes, ratifié par 15 pays africains, est entré en application comme partie de la charte africaine des droits humains. Mais même ainsi, il est typique que les gouvernements africains adoptent plus rapidement des protocoles internationaux que de voter des lois domestiques. Et ils sont plus rapides à adopter des lois domestiques que de les appliquer, ou de toucher aux règles non écrites ­ la dite loi vivante de la coutume ­ qui dirige beaucoup l¹Afrique rurale.


En Guinée, par exemple, l¹excision génitale féminine est un crime depuis 1965, punissable de prison à vie ou de la peine de mort. Mais en 40 ans, dit le Centre pour les Droits reproductifs, un groupe militant de New York,jamais un seul cas n¹est passé en jugement. L¹UNICEF dit que 99% des femmes
de Guinée sont excisées, un taux inchangé depuis des décennies.


Dans une région où près de la moitié des femmes sont analphabètes et ou les tribunaux et l¹assistance légale sont éloignés, ce sont souvent les chefs tribaux et pas les membres du Parlement qui décident ce qui est la loi. Presqu¹invariablement des hommes, les chefs tribaux sont les arbitres culturels de l¹Afrique rurale. Dans certains pays africains, leurs interprétations de la loi traditionnelle annulent les lois civiles et criminelles, dit Colleen Lowe-Morna, directrice de « Gender Links », un groupe des droits des femmes de Johannesburg.

« Pour la majorité des femmes qui vivent dans les zones rurales, la loi coutumière les condamne au fond à êtres des mineures toute leur vie, sous leur père, leur mari, leurs frères ou tout autre, « dit Ms. Lowe-Morna. Les dirigeants politiques trouvent pratique de maintenir des doubles systèmes légaux, parce que cela vous permet d¹approuver tous ces trucs progressistes mais rien essentiellement sur le terrain. »


Stephen Lewis, l¹envoyé spécial des Nations Unies pour l¹Afrique pour le sida et qui fait campagne contre les inégalités entre hommes et femmes, dit que les femmes ont besoin de leur propre version de l¹UNICEF, agence des Nations Unies pour les enfants. Ce qui manque aux Nations Unies « est une agence internationale de femmes puissante émergente et qui se charge du monde, » a-t-il dit dans une interview récente. « Personne n¹est responsable, » a-t-il dit, « Il n¹y a pas d¹argent, il n¹y a pas urgence, il n¹y a pas d¹énergie. »


Contrairement à ce que lui et d¹autres disent, les donneurs internationaux s¹engagent comme d¹habitude à prendre en considération les problèmes des femmes en élaborant des programmes d¹aide, une notion pleine de bonnes intentions qui assure très souvent que ces problèmes sont mis sur la touche.
Seuls deux objectifs visant les femmes et les filles ­ réduire la mortalité maternelle et éliminer le fossé entre les filles et les garçons à l¹école ­sont inclus dans les objectifs de développement des Nations Unies pour la prochaine décennie.


La propre Commission économique pour l¹Afrique des Nations Unies a délivré en février une évaluation pessimiste des progrès des femmes africaines, déclarant que les gains concernant la mobilisation politique des femmes,défense des femmes et représentation gouvernementale « ne se traduisent pas par un changement substantiel de la vie des femmes ordinaires. »


Dans une partie du monde où des m¦urs modernes se heurtent souvent avec des traditions anciennes, les femmes elles-mêmes sont parfois divisées sur ce qui constitue un progrès. Certaines militantes en faveur des femmes disent que leur mouvement s¹est constitué autour de besoins du continent pour promouvoir la paix et réduire la violence contre les femmes. Au-delà de cela, l¹unité est difficile à atteindre.


En Ouganda, des centaines de femmes musulmanes ont protesté contre la législation qui interdisait la polygamie et l¹excision génitale féminine, qui garantissait des droits égaux dans le mariage et le divorce et élevait l¹âge légal du mariage à 18 ans. Un Ougandais sur six est musulman. Le Parlement ougandais a suspendu la loi qui était en vigueur depuis près de 40 ans.


Le débat sur le test de virginité en Afrique du Sud n¹a pas été différents des batailles pour les droits des femmes ailleurs. La question opposa les membres de la Commission sud-africaine pour l¹égalité de genre aux dirigeants zoulous, hommes et femmes, qui voyaient dans la législation une attaque contre une culture tribale ancienne et les valeurs familiales.

Joyce Piliso-Seroke, qui préside la commission, a vivement conseillé au Parlement d¹interdire carrément les tests. L¹inspection publique du sexe des filles est humiliante, les conclusions sur leur virginité, bâclées et peu fiables médicalement, la stigmatisation des filles qui échouent est une gifle pour la vie et l¹identification publique de vierges, une invitation pour les violeurs à cause d¹un mythe parmi les hommes africains que des relations sexuelles avec une vierge peuvent guérir le sida, argumenta-t-elle.

Et surtout, ajouta-t-elle, elle rejette la notion qu¹il est acceptable d¹établir un jugement sur les vertu des filles tout en ignorant la moralité des garçons. Eduquer les garçons et les filles est une meilleure arme contre le sida.

Les dirigeants zoulous cependant, appelèrent les tests de virginité une tradition vénérée convenant idéalement à la lutte contre les maladies modernes. Le roi Goodwill Zwelithini Zulu qualifia les tests de cordon ombilical entre les Zoulous modernes et leurs ancêtres.

A Pietermaritzburg et à Durban, des centaines de femmes et de filles, la poitrine dénudée et portant les courtes jupes traditionnelles zoulous et des colliers à perles manifestèrent contre l¹interdiction. Inkosi Mzimela, le représentant de la Maison des chefs traditionnels d¹Afrique du Sud, une assemblée de chefs tribaux, a qualifié la législation de scandaleuse et a mis en garde que des communautés allaient la défier.


Même le vice-président d¹Afrique du Sud, à ce moment là, Jacob Zuma s¹est mêlé au débat l¹an dernier. Mr Zuma, un Zoulou, avait personnellement assisté à une cérémonie de tests de virginité, approuvant la pratique comme un moyen de protéger les valeurs africaines contre les effets corrosifs de la civilisation occidentale.

« Tout ceci ne regarde pas le gouvernement, » a dit Nomagugu Ngobese, une testeuse de virginité zoulou à Pietermaritzburg qui prétend qu¹elle a identifié des victimes de viol et des auteurs d¹inceste grâce aux tests. «On dévalue nos choses mais nous n¹abandonnerons pas. Ils devront venir et m¹emprisonner s¹ils le veulent, parce que ceci a aidé nos enfants. »


Après avoir voter d¹interdire complètement les tests de virginité, le Parlement a fait marche arrière ce mois-ci, limitant les tests aux filles de 16 ans et sur celles qui y consentent. Carol Bower, la directrice de «Ressources destinées à prévenir les mauvais traitement et la négligence des enfants » qui avait soutenu activement l¹interdiction, l¹a qualifié de «compromis OK ».

« Nous ne pensons pas que ce soit suffisant, » a-t-elle dit, « mais c¹est aussi bien que possible.


A Lamontville, un township animé de cabanes en contreplaqué et d¹habitations modestes en béton, Jabu Mdlalose, une travailleuse volontaire de la santé de la communauté, organise chaque mois une session de tests de virginité. La cérémonie de novembre était aussi une célébration d¹âge ­ une sorte de batmitzvah zoulou sponsorisée par les familles de deux filles qui avaient atteint la puberté, mettant en vedette des prières aux ancêtres, un bain dans une rivière éclairée par la lune et l¹abattage d¹une chèvre.


Ms. Mdlalose, 42, coiffée d¹un chapeau blanc et noir recouvert de perles s¹assit par terre sous la tente rouge et blanche pour les tests du samedi matin. « Nous ne les forçons pas » dit-elle pendant que les filles s¹alignaient. « Les filles veulent se protéger elles-mêmes. »


Quelques filles attribuèrent l¹assistance ­ 57 en tout, âges de 5 à 24 ans ­ à la pression des parents. Beaucoup d¹autres dirent qu¹elles aimaient la camaraderie et étaient fières du rituel. « D¹abord, c¹était embarrassant, » a dit Karabo Ngobese, 19. ³Mais on s¹y habitué.²


Si la nouvelle loi est adoptée, il n¹y aura plus d¹examens sans gants, plus de points blancs sur le front des filles jugées vierges.
Et il n¹y aura plus de fille de 14 ans comme Sibongile, qui débuta sa matinée pleine d¹entrain et la termina en se cachant à l¹arrière de la tente, insistant en pleurant que quelque soit le jugement de la testeuse, elle restait une vierge.


Gavin du Venage contribua à cet article à partir de George, Afrique du Sud.