Asynchrone

samedi, novembre 24, 2007

Les salaires, fil rouge de la colère

De Yoplait aux agences bancaires LCL, les arrêts de travail se multiplient depuis 15 jours.

NICOLAS CORI et PIERRE-HENRI ALLAIN (envoyé spécial au Mans)
LIBERATION.FR: vendredi 23 novembre 2007

Le service public est loin d’être le seul à avoir mal à son pouvoir d’achat. Car mardi, jour de la grève des fonctionnaires, c’était aussi celle de salariés de plusieurs entreprises privées de l’agroalimentaire. Au total, un peu partout en France, 500 appels à participer aux manifestations ou à arrêter le travail sur les sites des entreprises ont été lancés. «Le pouvoir d’achat a tellement diminué que tous les salariés sont pris à la gorge», estime Maryse Treton, secrétaire de la fédération CGT pour l’agroalimentaire. Et l’industrie agroalimentaire connaît aussi la pénibilité: «Depuis une dizaine d’années, le nombre de maladies professionnelles et d’accidents du travail a explosé. On compte actuellement un mort par semaine en moyenne dû à un accident du travail dans ce secteur.»

Avant-postes. Au Mans, plus de 80 % des 330 salariés de l’usine Yoplait ont débrayé pendant deux heures. «Nous avons été surpris par l’ampleur de la mobilisation, souligne Thierry Renaudin, délégué CGT. Il y avait parmi nous des salariés qui d’habitude ne nous suivent pas.» Pour le syndicat, plus question de se satisfaire des 1,6 % d’augmentation négociée en février par la CFDT et la CFTC. «Il y a cinq ans, on produisait au Mans 100 000 tonnes de produits frais [yaourts, fromage, crème fraîche, ndlr], précise Philippe Trassard, secrétaire du CCE de Yoplait-France. Aujourd’hui, on en produit 160 000 tonnes avec presque 200 personnes en moins et une rentabilité bien plus importante.»Les salaires, eux, n’ont guère augmenté: entre 1 400 et 1 500 euros nets par mois pour des employés dont l’âge moyen est de 43 à 45 ans. «Il y a de moins en moins de monde dans l’usine et la charge de travail est de plus en plus élevée, résume Jean-Marie, 44 ans, en blouson bleu et tenue blanche de rigueur. Pendant ce temps tout augmente, les prix et les bénéfices de l’entreprise, tout sauf nos salaires.» Sur les deux autres sites industriels de Yoplait, à Vienne en Isère (300 salariés) et à Monéteau dans l’Yonne (210 salariés), le débrayage s’est prolongé jusqu’à mercredi midi. Dans la Sarthe, l’entreprise de salaisons Bahier (380 personnes) a quant à elle été aux avant-postes. Ses salariés avaient entamé dès dimanche une grève qui s’est terminée mardi soir. Et toujours les mêmes revendications: revalorisation des rémunérations (certaines ne dépassent pas 1 000 euros net), et meilleures conditions de travail. La CGT de l’agroalimentaire annonce d’ailleurs à ce sujet une campagne au slogan explicite: «Arrêtez le massacre!»

Faramineux. A Paris, autre secteur, autre grève. Dans la banque, il y a les traders, qui gagnent des sommes faramineuses, mais aussi les salariés qui travaillent dans les agences ou le «back-office». Et dont les fiches de paie ne souffrent pas la comparaison. Certains d’entre eux à LCL (ex-Crédit lyonnais) étaient en grève hier, à l’appel de FO, de la CGT et de la CFTC, pour demander des hausses de salaire et protester contre leurs conditions de travail. Selon la direction, plus de 30 agences sur 2000 étaient fermées, pour un taux de 9 % de grévistes (30 % selon la CGT).

Devant le siège de LCL, boulevard des Italiens, où 300 salariés étaient rassemblés, on rappelle que le scandale du Lyonnais, dans les années 1990, avait poussé les salariés à accepter pendant des années de modérer leurs salaires. «On a lourdement payé, raconte Francine Guillard (CGT). Aujourd’hui, les profits sont de retour, colossaux. Sauf que la direction veut bien partager les pertes, mais pas les profits.» Suite à la négociation salariale, l’entreprise propose 625 euros d’augmentation par an pour les salariés dont le revenu est inférieur à 33 000 euros par an. Soit 77 % du personnel. Un petit geste qui ne satisfait pas. «Il ne s’agit que de suivre l’inflation» , remarque Philippe Kernivinen (FO). Et qui en plus, est assorti d’un «chantage» : si aucune organisation ne signe l’accord, la hausse ne sera plus que de 450 euros. Le reste de l’enveloppe servant à des augmentations individuelles.

«Idée reçue». Pour autant, personne ne décrit une situation rose dans le reste de la profession. «Pourquoi croyez-vous que la Société générale loue le stade de France pour recruter des jeunes?, souligne Sébastien Busiris, secrétaire fédéral FO. C’est une idée reçue de croire que les employés de banque sont bien payés. Et les jeunes diplômés s’en rendent compte.» Et le délégué FO de souligner que Sarkozy a beau brandir la question du pouvoir d’achat, la profession bancaire, elle, n’en a cure. Une réunion sur les négociations salariales au niveau de la branche est prévue lundi matin à l’Association française des banques (AFB), mais, a priori, aucune hausse ne devrait être proposée.