Asynchrone

dimanche, janvier 06, 2008

Marché de l’électricité : Poweo attend toujours le déclic

Energie.
Six mois après l’ouverture du secteur, l’opérateur privé n’a séduit que 35 000 clients.
ALEXANDRA SCHWARTZBROD
Liberation.fr : samedi 5 janvier 200


Chez Poweo, on ne doit pas montrer patte blanche à l’accueil pour rencontrer le patron, comme chez EDF. Il suffit de trouver son chemin tout seul, au cœur du quartier des Champs-Elysées, dans un de ces immeubles de bureaux à l’américaine où les entreprises squattent tout ou partie d’un étage, puis tâcher de repérer celui qui a plus de 40 ans. Facile. Chez Poweo, où la moyenne d’âge est de 28 ans, ils semblent tous montés sur ressorts.

Draguer. Et les ressorts, l’entreprise de Charles Beigbeder, 43 ans, va en avoir bien besoin. Créé il y a un peu plus de cinq ans pour profiter de l’ouverture du marché de l’électricité, Poweo peine à s’imposer. Au 1er janvier, 35 000 consommateurs seulement avaient quitté EDF depuis le 1er juillet 2007, date à laquelle les particuliers ont commencé à avoir le choix entre l’opérateur public et des concurrents privés. Et sur ces 35 000 aventuriers, environ 8 000 ont fait confiance à Poweo (2 000 pour la fourniture de gaz), ce qui est peu comparé aux 100 000 espérés avant fin 2007. «Sur les premières bascules, on a eu des parts de marché de 50 %, ce qui n’était pas mal. Et puis l’opérateur public a relancé 11 millions de Français en leur envoyant un mailing. Surtout Direct Energie [a utre fournisseur alternatif d’électricité, concurrent direct de Poweo, ndlr] a fait un bon score en allant, discrètement mais agressivement, faire de la vente à domicile», confie Charles Beigbeder à Libération. Du coup, Poweo a redéfini sa stratégie commerciale et vient de racheter un réseau de vente directe, Orevad, pour tenter de remonter la pente en allant draguer le consommateur «à la source», chez lui. «Je ne suis pas un adepte de la vente à domicile, admet pourtant Beigbeder.Sauf à contrôler parfaitement le discours commercial au client, je pense que ça peut être dangereux.»

Tarifs. C’est que l’heure n’est plus aux états d’âme. «Les 160 commerciaux d’Orevad vont devenir salariés de Poweo, je ne voulais surtout pas que cette activité soit externalisée. Nous sommes 420 personnes désormais, prêts à réussir la vraie ouverture du marché.» Car, depuis quelques semaines, la donne a changé. Après de houleuses discussions, l’Assemblée nationale a adopté le 13 décembre un amendement permettant à tous les particuliers qui choisiraient un concurrent d’EDF de revenir aux tarifs réglementés s’ils n’étaient pas satisfaits. Une proposition soutenue par les associations de consommateurs, mais aussi par les nouveaux concurrents d’EDF et GDF. La Bourse, d’ailleurs, ne s’y est pas trompée. Dans les jours qui ont suivi, l’action Poweo a grimpé. «Sans cette réversibilité, on ne pouvait pas y arriver, le consommateur avait trop peur de quitter EDF, reconnaît Beigbeder. A partir du moment où PPDA, au journal de 20 heures, a annoncé en juin que le consommateur ne pourrait plus revenir en arrière, on était morts. Cet obstacle psychologique levé, on peut vraiment démarrer.»

Miraculé donc, Poweo sait qu’il doit faire très fort dans les mois qui viennent pour s’imposer sur le marché. Mais comment cette petite boîte peut-elle assurer une offre avantageuse par rapport à celle du géant EDF dont les prix sont réglementés ? «Notre mission est d’abord d’aider le consommateur à mieux consommer, en proposant notamment des bilans énergétiques, en rendant le "compteur" intelligent. Mais surtout, nous avons sécurisé notre approvisionnement sur le long terme», assure Beigbeder. L’opérateur privé a ainsi conclu un accord de «swap» décalé avec l’opérateur public qui prévoit un échange de capacité sur quinze ans. Aux termes de cet accord, EDF fournit à Poweo de l’électricité de base (produite par le nucléaire, donc peu coûteuse) entre 2007 et 2022, et celui-ci fournira à EDF de l’électricité de pointe entre 2009 et 2024. Sa première centrale électrique est en cours de construction près de Maubeuge, la fin du chantier est prévue pour la fin de l’année.

Eloges. De toute façon, Beigbeder, qui est aussi un des piliers du Medef, ne croit pas que les tarifs réglementés tiendront longtemps. «Les tarifs réglementés, c’est "grenellement incorrect". Comment voulez-vous que les gens se désintoxiquent de l’électricité [i l dit «élec» comme un ado qui mange ses mots] si les prix n’augmentent pas ? D’autant que si les tarifs grimpent, les énergies nouvelles deviennent rentables.»

En tout cas, cet homme pressé et ambitieux, parfaitement en ligne avec l’ère Sarkozy, est très apprécié chez EDF. Pierre Gadonneix, le patron de l’opérateur public, ne tarit pas d’éloges sur lui, vantant son «charme» et son «énergie». Beigbeder sourit. «Normal, je milite à fond pour la privatisation d’EDF. Cela permettrait de rembourser la dette de l’Etat, ainsi la rente nucléaire serait rendue aux Français. Mais ce serait bien aussi qu’EDF accepte de partager et que d’autres opérateurs comme GDF-Suez ou Poweo puissent investir dans le nucléaire.»

En attendant, il va falloir ramer. Si le chiffre d’affaires est en hausse (à près de 350 millions d’euros), les résultats sont dans le rouge, conséquence des gros investissements effectués ces derniers mois. Actionnaire de son entreprise à hauteur de 13 %, aux côtés de l’électricien autrichien Verbund (30 %), le reste du capital se partageant entre le flottant et 4 000 actionnaires privés, Beigbeder n’a pas droit à l’erreur.